Французский перевод К. Пигетти
Источник: La Geste du Prince Igor / traduit par Christiane Pighetti. Paris: Minos, 2005.
- 1. Il ne nous siérait guère, frères,
d’entonner avec les mots d’antan
le récit amer de la campagne d’Igor,
le fils de Sviatoslav. - 2. Plutôt l’entonner, ce chant, en l’accordant aux faits
et non à la Boïan, en imagination fertile. - 3. Car Boïan le magicien,
s’il désirait célébrer quelque héros,
bondissait çà et là’ à travers l’arbre de la pensée,
tel le loup gris sur la terre
ou l’aigle sombre sur les nues. - 4. Ainsi remémorait-il, disait-il,
des premiers temps les luttes intestines
en lâchant dix faucons sur un vol de cygnes:
Au premier touché d’entonner le premier, l’hymne
à Iaroslav l’Ancien,
à Msistlav le Brave
ou à Roman le Bel, fils de Sviatoslav. - 5. Or Boïan, frères, en vérité
ses dix faucons point ne lançait sur le vol de cygnes
mais dix doigts magiques promenait
sur les cordes vivantes
qui, elles, faisaient sonner
la gloire de nos princes. - 6. Mais entamons plutôt, frères, notre récit
partant de Vladimir l’Ancien,
avec notre Igor d’aujourd’hui, lequel,
armant son esprit de puissance
et stimulant son cœur à là vaillance. - 7. tout frémissant d’ardeur guerrière,
mena sa vaillante armée en terre polovtsienne
au nom de la Terre russe. - 8. en vit surgir une ténèbre
qui enveloppa toute l’armée. - 9. Se tournant vers sa mesnie, il dit:
- 10. “Frères, compagnons,
mieux vaut mourir qu’être pris! - 11. Or çà, enfourchons, frères.
nos destriers fougueux
et nous verrons le Don bleu!” - 12. Tant ardait l’esprit du prince
de ce désir
qu’il en occulta le présage,
de soif du grand Don. - 13. “Jusqu’aux marches des Polovtses, disait-il,
je veux croiser le fer
et avec vous, fils de Rus, y laisser ma tête,
ou dans mon propre heaume
aux eaux du Don boire mon saoul:!” - 14. Boïan, rossignol du temps jadis!
Que ne les as-tu célébrés ces preux,
toi, trillant et sautillant
à travers l’arbre de la pensée,
volant en esprit jusque sous les nuées
à tresser de bout en bout
le glorieux fil du temps
et t’élançant de val en mont par la route trojane? - 15. Certes. Boïan, digne fils de celui-là,
eût chanté la geste comme ci: - 16. “Ce n’est pas la tempête
qui emporte les faucons
à travers la vaste plaine,
ce sont les bandes de choucas qui fuient
vers le grand Don.” - 17. Ou encore il eût chanté
Boïan le magicien, digne fils de Vêles: - 18. “Par-delà la Soula les destriers hennissent
– la gloire à Kiev retentit!
Les clairons sonnent à Novgorod
– les gonfalons claquent à Poutivl!”
Igor attend Vsevolod, son frère aimé. - 19. Et Vsevolod le bogatyr, l’impétueux aurochs,
de dire: - 20. “Toi, frère unique,
l’unique lumière de mes yeux,
Igor!
Fils de Sviatoslav tous deux. - 21. Selle, frère, tes coursiers rapides.
- 22. les miens, déjà parés, sont aux portes de Koursk.
- 23. Ah, mes Kourianes, de fameux guerriers!
langés au son du clairon
bercés à l’ombre des heaumes
nourris à la pointe de l’épée - 24. pas une piste qu’ils ne connaissent
pas une ravine qu’ils ignorent
leurs arcs sont bandés
leurs carquois dénoués
leurs sabres affilés - 25. ils bondissent, loups gris, à travers la steppe
avides pour eux d’honneur,
de gloire pour leur prince.” - 26. Sitôt le prince Igor met le pied à l’étrier d’or
il file par la plaine nue! - 27. Mais de sa ténèbre,
le soleil lui coupe la route, - 28. la nuit d’orage mugit sur lui, réveillant la gent ailée,
les bêtes se mettent à siffler, - 29. le Div tressaille
et du faîte de l’arbre lance son cri:
“Oyez! terres estranges
de la Volga
de la mer Noire
de la Soula
de Souroj
et de Cherson
et toi, idole de Tmoutarakhan!” - 30. Les Polovtses refluent sur le Don par les traverses,
leurs télègues crient dans la nuit,
on dirait des cygnes à la débandade.
Igor et ses guerriers marchent sur le Don. - 31. Mais déjà la gent ailée sous la chênaie
de leur malheur se repaît ;
de ravin en ravin le loup hurle à l’orage,
l’aigle trompette, invite les becs à la curée,
les renards glapissent après les écus rutilants. - 32. Ô peuple russe, loin de la colline!
- 33. Longue nuit obscure.
- 34. L’aurore s’est embrasée
le brouillard ensevelit les champs - 35. le rossignol s’est tu
le freux s’éveille en jacassant. - 36. Les Russes, de leurs écus vermeils, barrent la vaste plaine,
avides pour eux d’honneur,
de gloire pour leur prince. - 37. Au petit matin, le vendredi,
ils enfoncent l’armée des Polovtses impies,
se jettent en flèches à travers champs, enlèvent
les belles polovtsiennes
et avec elles, l’or
les brocarts
les samits de prix, - 38. tandis que pourpoints, pelisses et couvertes
sont jetés en ponts
sur marais et autres fanges
avec divers tissus brodés coumans. - 39. Ores, au vaillant fils de Svîatoslav
T oriflamme vermillon
le blanc gonfalon
le toug pourpre
la haste d’argent! - 40. Elle somnole dans la steppe
la belliqueuse nichée d’Oleg si loin aventurée… - 41. Elle n’est pas née pour l’affront
ni promise au faucon
pas plus qu’au gerfaut, ou à toi,
noir corbeau,
païen de Polovtse! - 42. Gzak, loup gris, file à travers champs:
Kontchak lui ouvre le chemin vers le grand Don. - 43. Mais le lendemain au petit matin
de sanglantes aurores anoncent le jour, - 44. de lourds nuages noirs se lèvent sur la mer.
zébrés d’éclairs bleutés.
ils menacent nos quatre soleils. - 45. Sur le grand Don, ça va tonner
les flèches vont pleuvoir: - 46. les lances se froisser
les sabres cogner contiv les heaumes coumans.
sur la rivière la Kaïala
près du grand Don! - 47. Ô peuple russe, loin de la colline!
- 48. De la mer montent les vents, fils de Stribog,
ils criblent les vaillantes troupes d’Igor ; - 49. la terre gronde
les cours d’eau roulent leurs eaux troubles
la poussière ensevelit les champs, - 50. et les bannières le disent: du Don
de la mer, de partout surgissent les Polovtses - 51. ils encerclent les Russes!
- 52. De leurs clameurs
ces fils du diable barrent les vastes champs
que nos valeureux fils barricadent
de leurs écus rutilants. - 53. Vsevolod, furieux aurochs,
dressé dans la mêlée,
tu cribles l’ennemi de tes flèches,
tu fais sonner contre les heaumes tes épées d’acier
franc. - 54. Où que tu t’élances, fougueux aurochs
étincelant sous ton heaume d’or,
gisent autour les têtes de mécréants, - 55. et les casques avars se brisent
sous les coups de l’acier trempé
– ton ouvrage, Vsevolod le preux! - 56. Et ceci, frères, au mépris des blessures,
oubliant honneurs et plaisirs
et sa bonne ville de Tchernigov
et le trône ancestral d’or
et les tendres ardeurs, les grâces et caresses
de la belle Glebovna. - 57. Il y eut l’ère trojane.
Les jours de Iaroslav ont fui.
Il y eut les campagnes cl’Oleg fils de Sviatoslav - 58. – Toi, Oleg, de ta lame trempée,
tu forgeas la discorde
et criblas la terre de tes flèches! - 59. et qu’en son fief de Tmoutarakhan
il mît le pied à l’étrier d’or - 60. (ce cliquetis, Iaroslav le Sage l’avait déjà perçu)
- 61. et Vladimir Monomaque à Tchernigov
de s’en boucher les oreilles chaque matin! - 62. Mais pour Boris Viatcheslavitch, la gloire
des eaux de la Kanina lui fit un vert suaire
le menant devant le juge suprême
au nom du droit d’Oleg
prince jeune et vaillant. - 63. De la même Kaïala-des-larmes, Sviatopolk
berça le corps de son père
entre les ambleurs hongrois
jusqu’en Sainte-Sophie de Kiev. - 64. Et les querelles depuis lors, depuis Oleg fils de malheur,
de croître et multiplier.
Ainsi se consumait la vie du rejeton de Dajbog.
Dans les querelles des princes
s’abrègent les jours de l’homme. - 65. Par la Terre russe désormais
rare se fit le cri du laboureur ;
à se disputer les cadavres
les corbeaux ne cessaient de crailler
et les choucas en leur jargon
de prétendre eux aussi à voler au festin. - 66. Ainsi en fut-il de ces assauts, de ces batailles…
Mais une bataille comme celle-ci nul n’en avait ouï:
de l’aube au crépuscule et du crépuscule au petit jour
les fers de flèches volent
les sabres cognent contre les heaumes
les lances d’acier s’entrechoquent
en terre polovtsienne
par la plaine inconnue. - 67. Noire, sous les sabots la terre,
emblavée d’ossements
envermeillée de sang,
par toute la Terre russe lève le noir chagrin. - 68. Quelle est cette rumeur?
quel est ce cliquetis au loin, avant l’aurore? - 69. Igor ramène ses guerriers:
il a pitié de Vsevolod son frère aimé. - 70. On batailla un jour
on batailla deux jours,
mais le troisième avant midi
les enseignes d’Igor sont tombées ; - 71. sur la Kaïala-des-larmes les frères sont séparés.
- 72. Ici le vin sanglant vient à manquer
- 73. ici les vaillants fils de Rus mettent un terme au festin.
Ayant enivré leurs “hôtes”, ils gisent
au nom de la Terre russe. - 74. Et l’herbe de pitié courbe la tête
et l’arbre de chagrin ploie jusqu’à terre. - 75. Frères! l’heure n’est plus à la joie:
de la force a raison le désert. - 76. Parmi les rejetons de Dajbog
l’Envie s’est dressée,
la donzelle a posé sur le sol trojan
son pied de cygne
et de battements d’ailes éclaboussé
la grande mer bleue du Don.
En s’ébrouant, elle laissa échapper les fastes années… - 77. Ainsi, la lutte des princes contre l’infidèle prit fin.
Car le frère se mit à dire au frère:
“Ceci est à moi! Cela aussi!”
et de vétilles les princes de dire:
“C’est important!”
Ainsi la discorde sévissait entre eux, - 78. tandis que, volant de victoire en victoire,
les païens de toutes parts
affluaient sur la Terre russe. - 79. Comme à fondre sur l’oiseau
le faucon s’est aventuré loin en mer! - 80. Las! la vaillante troupe d’Igor ne ressuscitera pas.
- 81. Ores à sa suite Karna la pleureuse pousse des cris
et le lamento de Jlia parcourt la terre russe entière
agitant la flamme dans la corne ardente. - 82. Les femmes éplorées se lamentent:
- 83. Plus ne leur serait donné, l’époux cher,
de le bercer en leurs pensers
de le choyer en leur cœur
de le contempler de leurs yeux,
pas plus que l’or et l’argent d’en tâter dorénavant. - 84. Ainsi, frères, gémissaient Kiev dans la douleur
et Tchernigov sous les assauts. - 85. Ainsi la désolation s’abattait sur la Terre russe
et le chagrin roulait ses hautes eaux par la Terre russe, - 86. tandis que les princes se déchiraient entre eux
- 87. et que l’infidèle victorieux se ruait sur le pays
prélevant un carnier d’écureuils par feu. - 88. Les deux vaillants Sviatoslavitch
Igor et Vsevolod
avaient ranimé la falserie, que leur père
Sviatoslav le Redoutable, grand prince de Kiev,
dans sa guerrière fureur
et à l’aide de ses épées franques, avait su réduire, - 89. à la tête de ses puissantes armées
pénétrant en pays couman
foulant ravines et collines
troublant rivières et lacs
asséchant sources et marais.
Quant à Kobiak le mécréant, tiré de son anse marine,
arraché en tornade à ses puissantes troupes de fer,
il était venu échouer. Kobiak, en la cité de Kiev,
dans la salle des Écuyers de Sviatoslav. - 90. Là, Slaves et non-Slaves
Grecs et Moraves tour à tour
chantent la gloire du grand-prince,
et blâment le prince Igor qui enfouit l’or russe
au fond de la Kaïala, la Kaïala ennemie,
y noyant l’opulence. - 91. Le prince Igor avait troqué sa selle d’or
contre une selle d’esclave, - 92. l’affliction avait gagné les remparts de la cité,
toute joie avait disparu. - 93. Cependant qu’à Kiev sur les hauteurs
Sviatoslav eut un songe qui le troubla: - 94. “Cette nuit, dit-il, l’obscurité venue,
on me couvrit d’un noir suaire sur un lit de cèdre ; - 95. un vin bleuâtre m’était porté, mêlé de fiel,
- 96. et du carquois vide de drogmans païens
on faisait rouler de grosses perles sur mon sein, - 97. tout en me cajolant.
Dans la chambre haute au faîte d’or
manquait déjà la poutre maîtresse. - 98. Dès la tombée du jour, toute la nuit, près de Plesensk
craillèrent les corneilles grises - 99. et à travers les pâtures
un traîneau ténébreux fila vers la mer bleue.” - 100. Les boïars répondirent:
- 101. “C’est, prince, l’affliction qui saisit ton esprit
- 102. en raison de tes faucons envolés du trône d’or
pour gagner Tmoutarakhan la grande cité
et dans leur heaume aux eaux du Don boire leur saoul.
Mais les sabres des impies leur ont rogné les ailes,
ils se sont pris eux-mêmes aux entraves de fer. - 103. Car au troisième jour l’obscurité se fit,
les deux soleils sont devenus ténèbres,
deux colonnes purpurines se sont éteintes, et avec elles
les deux jeunes lunes,
Oleg et Sviatoslav,
plongées dans les ténèbres elles aussi
sombrèrent dans la mer.
La gent hunnique d’emblée en conçut une folle audace. - 104. Sur la Kaïala-des-larmes l’ombre occulta la lumière,
- 105. et les Polovtses comme une portée de léopards
semèrent la terreur de par la Terre russe. - 106. À l’honneur fit place le déshonneur,
- 107. la violence bouta la liberté ;
- 108. Div fondit sur terre.
- 109. Et sur les rives de la mer bleue
les belles filles des Goths
firent tinter l’or russe
en chantant les jours de Boz
et savourant en cadence
la vengeance de Charukhan. - 110. Cependant nous, ta mesnie. nous avons soif de liesse!”
- 111. Lors le grand Sviatoslav
laissa tomber une parole d’or, mêlée de larmes,
il dit: - 112. “Ô mes fils, Igor! Vsevolod!
N’était-il pas prématuré de tirer l’épée contre les païens
afin d’en tirer gloire pour vous-mêmes?
Vos victoires sont sans honneur,
et sans gloire, le sang versé. - 113. Fallait-il que votre valeureux cœur
soit forgé d’acier cruel et trempé de témérité. - 114. Et ceci, vous le fîtes, à mes tempes argentées!
- 115. Plus ne connaîtrai désormais la puissance
de Iaroslav mon frère.
le fort
le riche
le guerrier.
avec ses boïars de Tehernieov,
ses voïvodes,
et ses Tatrans
Selbirs
Toptchaks
Revugs
Olbers
qui tous, sans bouclier,
du seul couteau tiré de leur botte et de leurs cris
triomphant de l’ennemi,
faisaient sonner le nom glorieux de leurs aïeux. - 116. Or vous disiez, vous: "À nous de montrer notre valeur
à nous la gloire de demain!
Nous partagerons celle d’hier." - 117. Est-ce miracle, frères, pour un vieillard, de rajeunir?
- 118. Lorsque le faucon mue
ne chasse-t-il pas dans les hauteurs l’intrus,
laisserait-il sa couvée exposée à l’outrage? - 119. Le malheur veut
que les princes ne me soient d’aucun secours. - 120. De nos jours, tout est sens dessus dessous.
- 121. C’est pourquoi Rimov crie sous les sabres des Polovtses,
et Vladimir sous les blessures. - 122. Deuil et malheur au fils de Gleb!”
- 123. Et toi, Vsevolod, noble prince,
que ne songes-tu de tes contrées lointaines
à voler au secours du trône d’or de tes pères? - 124. Toi qui sous l’aviron fais gicler les eaux de la Volga
et qui, de ton heaume, épuises le lit du Don,
que n’es-tu là! - 125. Nous aurions une captive pour une nogata,
un esclave pour une rezana! - 126. Car n’aurais-tu pas, sur la terre ferme, lancé contre l’ennemi
le feu grégeois que sont ces boutefeux de Glebovitch? - 127. Et toi, David, et le bouillant Rurik!
Ne sont-ils pas des vôtres
ces heaumes dorés qui baignent dans le sang? - 128. Ne sont-ils pas les vôtres, ces valeureux preux,
aurochs mugissants blessés par le sabre acéré
dans la plaine inconnue? - 129. À vos étriers d’or, nobles seigneurs,
lavez l’affront de notre temps
au nom de la Terre russe,
au nom des blessures d’Igor
le bouillant Sviatoslavitch! - 130. Et toi, Iaroslav de Galitch le Très-Sage
tu sièges haut
sur ton trône d’or massif.
toi qui de tes puissantes armées de fer
étayas les monts Ougriens
barras la route au roi de Hongrie
et fermas les portes du Danube,
lançant des projectiles par-dessus les nuées,
toi qui exerças la justice jusqu’au Danube! - 131. La crainte de toi roule de peuple en peuple,
tu forces tes portes de Kiev,
tu tires sur le sultan par-delà les terres
du trône d’or de tes pères. - 132. Tourne ta vindicte, noble seigneur, sur Kontchak,
ce mécréant d’escogriffe,
au nom de la Terre russe
au nom des blessures d’Igor
le bouillant Sviatoslavitch. - 133. Et toi, Roman l’impétueux, et Mstislav.
dont l’esprit porte aux actions intrépices - 134. et la fougue aux prouesses, vous planez
de même que sur les vents le faucon se déploie
pour mieux fondre sur sa proie. - 135. Sous vos heaumes latins n’avez-vous pas cottes de fer?
Ainsi vous faites trembler la terre,
et bien des peuples:
Huns
Lituaniens
Jatvings
Deremels
Polovtses
jetèrent leurs javelines et courbèrent la tête
sous vos épées d’acier franques. - 136. Or vois, prince Igor:
le soleil s’est voilé
l’arbre a perdu sa feuillée, - 137. et sur la Ros et la Soula on se dispute les cités.
Elle ne renaîtra pas, la vaillante troupe d’Igor. - 138. Le Don te hèle, prince,
vous hèle, princes, à la victoire, - 139. valeureux fils d’Oleg toujours prêts à se battre.
- 140. Ingvar et Vsevolod!
et vous, les trois fils de Mstislav,
fière nichée d’autours à six rémiges,
ce n’est pas d’un coup de dés
que vous assîtes votre pouvoir. - 141. Mais à quoi bon vos heaumes d’or
vos javelines polonaises
et vos écus? - 142. De vos flèches acérées
hâtez-vous de barrer la steppe
au nom de la Terre russe
au nom des blessures d’Igor
le bouillant Sviatoslavitch. - 143. Car la Soula déjà ne roule plus ses flots d’argent
pour couvrir Pereiaslav.
Et la Dvina charrie sa bourbe de Polotchane grondant
sous les clameurs des mécréants. - 144. Iziaslav, le fils de Vasilko,
qui fit sonner seul sa rude épée
contre les heaumes lituaniens
éclipsant la gloire même de son grand-père Vseslav,
le voici gisant sous les boucliers rutilants
par l’épée lituanienne à son tour éclipsé
sur l’herbe ensanglantée. - 145. Tu l’avais dit, toi:
- 146. “Ta mesnie, prince,
la gent ailée l’a prise sous son aile,
mais les fauves lui ont sucé le sang.” - 147. Il n’y avait là ni Briatchislav, ton frère,
ni l’autre, Vsevolod:
Seul tu affrontas l’heure où ton âme de perle
s’échappa d’un corps de brave
à travers l’encolure d’or. - 148. Toute voix s’est tue
et la joie n’est plus.
Mais à Gorodno, elles sonnent les trompettes! - 149. Héritiers de Iaroslav, héritiers de Vseslav,
en berne vos étendards!
Rengainez vos épées ébréchées: - 150. vous avez forfait à la gloire des ancêtres
- 151. et introduit par vos discordes
sur la Terre russe
et le patrimoine de Vseslav,
la païennie. - 152. Grâce à quoi, de la terre des Polovtses
la violence s’est déchaînée. - 153. Car au septième âge trojan
Vseslav avait jeté les dés
sur une fille qu’il aimait. - 154. Fertile en stratagèmes
il s’envole sur son cheval
galope jusqu’à Kiev
touche de sa haste
le trône d’or - 155. puis, fauve, échappant à tous,
de Belgorod, enveloppé de brume bleue
il s’évanouit dans la nuit… - 156. La chance lui sourit: en trois coups
les portes de Novgorod s’ouvrent devant lui,
il porte ombrage au renom de Iaroslav - 157. et de Dudutki, loup-garou, il file, sur la Nemiga…
Mais sur la Nemiga
en fait de gerbes,
les têtes gisent ;
l’acier franc tient lieu de fléau
sur l’aire on vanne les vies
l’âme au corps est ravie. - 158. De la Nemiga les rives ensanglantées
ne sont guère d’heur ensemencées
mais des ossements des fils de Rus. - 159. Le prince Vseslav rendait la justice en homme libre
gouvernait les cités en prince,
et filait en loup dans la nuit.
De Kiev gagnant Tmoutarakhan avant le chant du coq,
il coupait la route au grand Hors. - 160. À Polotsk sonnaient encore pour lui matines
au clocher de Sainte-Sophie.
qu’à Kiev il en percevait la sonnerie. - 161. Âme magique en corps hardi,
il lui advint bien des infortunes. - 162. À son propos Boïan le magicien
n’était-il pas sensé, de dire: - 163. “Ni le malin
ni l’habile
ni l’oiseau subtil
n’échappent à l’arrêt divin.” - 164. Ô Terre de Rus, tu peux gémir
au souvenir des premiers temps,
des premiers princes! - 165. Jamais Vladimir l’Ancien
ne se serait laissé river aux monts de Kiev. - 166. À présent, les bannières se déploient certes,
celles de Rurik, celles de David…
mais leurs pennons flottent en sens inverse. - 167. Elles chantent, les lances!
- 168. Sur le Danube la voix de Iaroslavna
comme le coucou au petit jour hèle l’inconnu: - 169. “Je m’envolerai, dit-elle,
comme le coucou sur le Danube, - 170. je tremperai dans la Kaïala ma manche de castor
- 171. et laverai du prince les sanglantes blessures
d’un corps martyr.” - 172. Ainsi pleure au petit jour Iaroslavna sur les remparts,
sur les remparts de Poutliv, elle appelle: - 173. “O vent, grand aquilon!
pourquoi, seigneur, venter si rudement? - 174. Pourquoi sur tes ailes légères porter en mugissant
les flèches de ces Huns contre les guerriers de mon aimé? - 175. Souffler là-haut sous les nuées
ballotter les vaisseaux sur la mer bleue,
est-ce pour toi trop peu? - 176. Pourquoi, seigneur, avoir sur la lande répandu ma joie?”
- 177. Ainsi pleure au petit jour Iaroslavna sur les remparts
en la cité de Poutivl, elle appelle: - 178. “Dniepr Illustrissime!
toi qui te frayas un cours entre les monts escarpés
à travers le pays polovtse, - 179. toi qui berças sur tes flots les nefs de Sviatoslav
vers les armées de Kobiak, - 180. porte, seigneur, berce mon bien-aimé jusqu’à moi
afin qu’au petit jour sur la mer
je ne lui envoie plus mes larmes!” - 181. Ainsi pleure au petit jour Iaroslavna sur les remparts,
sur les remparts de Poutivl, elle appelle: - 182. “Soleil lumineux, trois fois lumineux!
toi qui te fais à tous beau et chaud - 183. pourquoi, seigneur, sur les guerriers de mon aimé
avoir dardé tes rayons brûlants
racorni leurs arcs de soif sur le sol altéré
et serré leurs carquois de détresse?” - 184. La mer écume dans la nuit.
Les trombes passent en nuées noires.
Dieu montre au prince Igor le chemin
de la terre polovtsienne à la Terre de Rus,
au trône d’or de ses pères. - 185. Meurent du soir les dernières lueurs…
Igor dort
Igor veille
Igor mentalement évalue le champ…
du grand Don au petit Don… - 186. A minuit, de l’autre rive, Ovlur siffle son destrier
presse le prince, qu’il comprenne:
– plus de prince Igor! - 187. Appels
galops sourds
froissements d’herbes…
chez les Polovtses, les télègues s’agitent. - 188. Le prince Igor file
hermine entre les roseaux
ou grèbe blanc – sus à l’eau! - 189. Il s’élance sur son fringant coursier
saute à bas, se coule, loup gris, vers la noue du Donets. - 190. faucon, vole dans les nues
abat cygnes et oies
à déjeuner
à dîner
à souper. - 191. Tandis qu’Igor le faucon vole
Ovlur le loup file…
Secouant la fraîche rosée
ils éreintent leurs fringants coursiers. - 192. Le Donets déclare:
- 193. “Ce n’est pas pour toi, prince, gloire mince,
et pour Kontchak, dépit,
mais pour la terre russe, liesse!” - 194. Igor de rétorquer:
- 195. “Ni pour toi, Donets, gloire mince
de bercer sur tes flots ton prince,
lui dérouler une couche verte
le long de tes rives argentées
puis à l’ombre de l’arbre vert
le vêtir de tièdes nuées, - 196. tandis que montent la garde
le grèbe au fil de l’eau
la mouette sur les vagues
le foulque dans le vent.” - 197. Quant à toi la Stougna, dit-on, c’est autre chose:
ton flot mauvais, à force d’engloutir
rivières et rus d’autrui,
agrandit son delta et retint en ses rets
le jeune prince Rostislav.
Lors sur le Dniepr aux sombres rives, - 198. la mère de Rotislav
pleure son jeune fils et prince, - 199. les fleurs affligées s’étiolent,
et l’arbre, de chagrin, ploie jusqu’à terre. - 200. Non! ce n’est pas la pie qui jacasse…
Ce sont Gzak et Kontchak, ils suivent Igor à la trace. - 201. Les corbeaux ne croassent plus
les choucas se sont tus
les pies ne jacassent plus, - 202. seul le serpent se glisse…
tandis qu’à coups de bec les pic-verts
montrent du fleuve le chemin
et que les rossignols annoncent le jour
de leurs joyeux chants. - 203. Gzak dit à Kontchak:
- 204. “Si le faucon vole vers le nid, nous,
de nos flèches d’or, percerons le fauconneau.” - 205. Kontchak dit à Gzak:
- 206. “Si le faucon vole vers le nid
nous prendrons le fauconneau aux rets de la belle.” - 207. Et Gzak à Kontchak:
- 208. “Si nous le prenons aux rets de la belle
ni belle ni fauconneau ne seront à nous
et les oiseaux fondront sur nous
à travers la plaine hostile.” - 209. Ils l’avaient dit, Boïan et Hodyna,
chantres de Sviatoslav
aux temps anciens de Iaroslav,
favoris d’Oleg le kagan: - 210. “Misère à toi, tête sans épaules
malheur à toi, corps sans tête!”
Ainsi de la Terre russe sans Igor. - 211. Le soleil est au zénith
Le prince Igor est en terre russe - 212. Les filles chantent sur le Danube,
de vague en vague sur la mer
leurs voix modulent jusqu’à Kiev. - 213. Igor monte par Boricev à Notre-Dame-des-Remparts.
- 214. Pays en fête, cités en liesse!
- 215. Nous avons célébré les anciens,
chantons les jeunes à présent: - 216. “Gloire à Igor Sviatoslavitch
à Vsevolod l’impétueux
à Vladimir Igorevitch!” - 217. Vivent les princes et leur mesnie!
Ils guerroient contre l’infidèle
au nom de tous les chrétiens. - 218. Gloire au prince! à sa mesnie!
Amen.
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Орехов Б. В. Параллельный корпус переводов «Слова о полку Игореве»: итоги и перспективы // Национальный корпус русского языка: 2006—2008. Новые результаты и перспективы. — СПб.: Нестор-История, 2009. — С. 462—473.