Французский перевод Ф. Эйкхоффа
Eichhoff F. G. Histoire de la langue et de la littérature des slaves, russes, serbes, bohêmes, polonais. Paris, 1839. P. 191—193, 296—319, 349—355
- 1. Ne serait-il pas bien, frères, de commencer en vieux style le pénible récit de l'expédition d'Igor, du fils de Sviatoslav ?
- 2. Que le poème commence donc d'après l'histoire des temps, et non à la manière de Boïan.
- 3. Boïan le barde voulait-il faire un poème? ses pensées s'égaraient dans les bois comme le loup gris au milieu de la plaine, comme l'aigle cendré dans les airs.
- 4. Pensait-il à quelque guerre des anciens temps? il lançait dix faucons contre une troupe de cygnes, et le premier qui faisait une capture entonnait aussi le premier chant, soit sur le vieux Iaroslav, soit sur Mistislav l'intrépide, qui abattit Bededia à la vue des troupes kasozkes, soit enfin sur le beau Roman Sviatoslavic.
- 5. Or, Boïan, frères, ne lançait pas dix faucons sur une troupe de cygnes; mais ses doigts prophétiques touchaient les cordes vivantes, et d'ellesmêmes elles célébraient la gloire des héros.
- 6. Continuons donc, frères, ce récit depuis l'ancien Vladimir jusqu'au règne actuel d'Igor, qui rassembla avec force ses esprits, qui arma son cœur de courage, et,
- 7. rempli d'ardeur belliqueuse, conduisit ses braves légions dans le pays des Polovces pour défendre la terre de Russie.
- 8. Igor leva les yeux vers le soleil brillant, et vit qu'il couvrait d'ombre son armée toute entière;
- 9. et Igor e dit à ses compagnons :
- 10. « Frères et compagnons! mieux vaut pour nous d'être tués que captifs.
- 11. Montons, frères, sur nos coursiers agiles, afin de voir le Don azuré! »
- 12. Une noble ardeur s'empare de l'esprit du prince, et efface les sinistres présages, pour le pousser vers le grand fleuve du Don.
- 13. « Je veux, dit-il, rompre mon fer de lance avec vous, Russes, sur la terre des Polovces; je veux y coucher ma tête ou boire le Don avec mon casque »
- 14. Boïan, rossignol des vieux temps, que ne peux-tu célébrer ces légions! Rossignol voltigeant dans les bois animés, et planant en esprit sous les nuages, que ne peux-tu chanter la gloire mutuelle des temps, et suivre les traces de Troïan à travers les plaines et les montagnes,
- 15. pour célébrer Igor, son petit-fils ?
- 16. « La tempête n'a pas emporté les faucons au-delà des vastes plaines, mais des essaims de geais accoururent vers le Don. »
- 17. Voilà ce que tu aurais dû chanter, divin Boïan, descendant de Vêles!
- 18. Les chevaux hennissent derrière la Sula, la renommée retentit à Kiev, les trompettes résonnent à Novgorod, les étendards flottent à Putivl. Igor attend son cher frère Vsevolod; et Vsevolod,
- 19. le fier taureau, lui dit :
- 20. « Mon frère unique, ma seule lumière, illustre Igor ! tous deux nous sommes fils de Sviatoslav.
- 21. Selle, ô mon frère, tes coursiers agiles :
- 22. déjà les miens sont prêts et sellés devant Kursk;
- 23. et mes Kuriens sont des hommes belliqueux, nés au son de la trompette, bercés dans le creux des casques, nourris sur la pointe des lances;
- 24. les chemins leur sont familiers, les défilés leur sont connus, leurs arcs sont bandés, leurs carquois entr'ouverts, leurs sabres aiguisés,
- 25. et eux-mêmes s'élancent comme des loups gris dans la plaine, pour venger leur honneur et la gloire de leur prince. »
- 26. Aussitôt le prince Igor mit le pied à l'étrier doré, et chevaucha dans la vaste plaine.
- 27. Le soleil couvrit sa route de ténèbres;
- 28. la nuit réveilla les oiseaux aux chants sinistres et les bêtes féroces hurlant dans leurs repaires.
- 29. Div cria du faîte de l'arbre, et rendit attentifs les pays lointains, les bords du Volga et de la mer, ceux de la Sula, du Surog, du Korsun, et toi aussi, idole de Tmutorokan !
- 30. Les Polovces se précipitent alors par des chemins non frayés vers le Don majestueux : leurs chariots retentissent dans la nuit; on dirait des cygnes dispersés. Igor mène ses troupes vers le Don:
- 31. mais déjà leur désastre repaît les oiseaux de proie; les loups grondent au fond des cavernes, les aigles, battant des ailes, appellent aux ossements les bêtes fauves, et les renards glapissent devant les boucliers rouges.
- 32. Russes, déjà vous êtes derrière Selomian!
- 33. Depuis long-temps la nuit s'abaissait;
- 34. le crépuscule cacha sa lumière, les brouillards couvrirent au loin la plaine,
- 35. le chant des rossignols s'assoupit, et les cris des geais se réveillèrent.
- 36. Les Russes entourèrent les vastes champs de leurs boucliers rouges, pour venger leur honneur et la gloire de leur prince.
- 37. Le vendredi dès l'aurore, ils écrasèrent les hordes païennes des Polovces, et se répandirent comme des traits dans la plaine IS. Ils s'emparèrent de jolies filles polovces, prirent de l'or, des tapis, du velours précieux ;
- 38. les ortmes, les manteaux, les pelleteries, et maints ustensiles des Polovces leur servirent à jeter des ponts sur les marais et sur les fondrières.
- 39. L'étendard rouge, le drapeau blanc, le bandeau rouge, le bâton d'argent, appartiennent au fils intrépide de Sviatoslav!
- 40. Elle dort sur la plaine , la courageuse couvée d'Oleg, après avoir porté au loin son vol.
- 41. Elle n'était pas née pour le malheur, pas vouée au faucon, au vautour, ni à toi, noir corbeau, Polovce infidèle!
- 42. Gsak s'élance comme un loup gris; Koncak lui fraie un chemin vers le grand fleuve du Don.
- 43. Le lendemain matin, une aurore sanglante annonce le jour:
- 44. du côté de la mer s'élèvent des nuages noirs gonflés de grêle, capables d'obscurcir quatre brillants soleils; de leur sein volent des éclairs livides,
- 45. gronde le tonnerre, jaillissent des torrents de pluie versés par le Don redoutable.
- 46. Ici la lance se brise, les sabres éclatent sur les casques des Polovces, aux bords de la Kaïala, près du Don.
- 47. Russes! vous n'êtes plus à Selomian!
- 48. Voyez, les vents, ces enfants de Stribog, fondent de la mer, comme des traits acérés, sur les vaillantes légions d'Igor;
- 49. la terre tremble, les fleuves se troublent, la poussière roule,
- 50. les étendards frémissent. Les Polovces s'élancent des bords du Don,
- 51. des bords de la mer, de tous côtés ils cernent les troupes russes.
- 52. Les fils de Bies traversent la plaine en rugissant, et nos braves Russes se retranchent derrière leurs boucliers rouges.
- 53. Puissant Tur Vsevolod! tu te mets en défense: tes traits volent sur les ennemis, tes glaives d'acier tonnent sur leur armure.
- 54. Partout où le taureau s'élance, où son casque d'or a brillé, on voit les têtes infidèles des Polovces
- 55. fendues sous leurs casques ovariens par des sabres tranchants, par toi, intrépide Vsevolod!
- 56. Quelles profondes blessures, ô frères! Il a oublié sa gloire et sa vie, et le château de Cernigov, et le trône d'or de ses pères, et sa tendre épouse, la belle Gliebovna, et ses attraits et ses vertus!
- 57. Ils sont passés les temps de Troïan, les années de Iaroslav sont passées, et les armées d'Oleg, fils de Sviatoslav, ne sont plus!
- 58. Cet Oleg, dont l'épée excitait la discorde et dont les traits parsemaient le pays,
- 59. monta sur son élrier d'or dans la ville de Tmutorokan.
- 60. Le bruit en a frappé le vieil et puissant Iaroslav
- 61. fils de Vsevolod; mais Vladimir, à Cernigov, se bouchait chaque matin les oreilles.
- 62. Boris, au contraire, le fils de Viaceslav, fut entraîné par l'honneur au jugement, et son corps fut couvert d'une housse verte par la vengeance du jeune et brave Oleg.
- 63. Des bords de la Kaïala, Sviatopolk conduisit son père, à travers les cavaliers hongrois, jusqu'à Sainte-Sophie de Kiev.
- 64. Ce fut alors que, sous Oleg, fils de Gorislav, naquit et germa la discorde, que s'éteignirent les jours du petit-fils de Dazbog, et qu'au milieu des querelles des princes la vie humaine fut abrégée.
- 65. Rarement on voyait les paysans se réjouir sur la terre russienne; les corbeaux, au contraire, croassaient en se partageant les cadavres, et les geais criaient en volant vers leur proie.
- 66. Telles étaient ces guerres, tels ces conflits de troupes; et cependant rien n'égala le combat actuel. Du matin au soir, du soir à l'aurore, les traits acérés volent, les glaives tonnent sur les casques, les lances durcies retentissent
- 67. sur cette plage inconnue , au milieu du pays des Polovces. La terre, noircie sous les pieds des chevaux, est semée de membres, abreuvée de sang, pour le malheur de la Russie.
- 68. Quel bruit, quel frémissement entends-je
- 69. avant l'aurore ? Igor replie ses bataillons, car il plaint Vsevolod, son frère chéri.
- 70. Ils combattirent le premier jour, ils combattirent le second; au midi du troisième tomba la bannière d'Igor.
- 71. Les deux frères se séparèrent sur les bords de l'impétueuse Kaïala :
- 72. ici s'épuisa le vin sanglant,
- 73. ici se termina le festin des braves Russes; ils avaient abreuvé leurs hôtes, et eux-mêmes tombèrent pour leur patrie.
- 74. L'herbe s'incline de douleur, et les arbres se penchent vers la terre!
- 75. Bientôt, frères, arriva l'heure fatale; bientôt le désert engloutit notre armée,
- 76. et le malheur fondit de toutes parts sur les sujets du petit-fils de Dazbog.Une vierge se montra sur la terre de Troïan, voltigeant sur ses ailes de cygne, non loin dela mer Noire, sur les rivages du Don, et appelant sur nous des jours funestes.
- 77. Les princes cessèrent de combattre les païens, car le frère dit au frère : « Ceci est à moi, et cela aussi est à moi. » Et sur de petites choses ils dirent de grandes paroles, et se dressèrent mutuellement des embûches.
- 78. Cependant les païens victorieux envahirent de toutes parts la Russie.
- 79. Oh! le faucon étend au loin son vol, chassant les oiseaux vers la mer ;
- 80. mais les guerriers du brave Igor il ne les réveille point.
- 81. Derrière lui grondent Karna et Zlia, lançant sur la terre de Russie
- 82. les brandons renfermés dans la corne flamboyante. Les femmes russes pleurent et s'écrient :
- 83. « Jamais nous ne pourrons plus songer à nos époux, ni les rappeler à notre souvenir, ni les contempler de nos yeux; de l'or et de l'argent, nous n'en aurons jamais! »
- 84. Frères! Kiev gémit de douleur, et Cernigov de saisissement;
- 85. l'épouvante se répandit sur la Russie , et un déluge de maux fondit sur elle.
- 86. Les princes euxmêmes se tendaient des embûches,
- 87. et les païens vainqueurs parcouraient la contrée, levant sur chaque ferme l'impôt d'un écureuil.
- 88. Car les deux fils de Sviatoslav, Igor et Vsevolod, avaient ressuscité les maux assoupis par leur père, le puissant souverain de Kiev.
- 89. Qu'il était terrible quand il s'élançait avec ses fortes troupes et ses sabres d'acier; quand il envahit le pays des Polovces, foulant les monts et les vallées, troublant les fleuves et les lacs, desséchant les torrents et les marais! Semblable à l'ouragan, il arracha du fond de la baie, du milieu des armes des Polovces, l'infidèle Kobiak; et Kobiak périt à Kiev, dans le palais de Sviatoslav.
- 90. Maintenant, Allemands et Vénitiens, Grecs et Moraves, célèbrent la gloire de Sviatoslav, et plaignent le prince Igor d'avoir plongé la sève du pays au fond de la Kaïala, du fleuve polovce, et d'y avoir répandu l'or russien.
- 91. Mais le prince Igor quitta sa selle dorée et s'assit sur la selle de Koscey.
- 92. Les créneaux des villes s'affaissèrent, et partout la joie disparut.
- 93. Alors Sviatoslav eut un songe sinistre.
- 94. « Cette nuit, dit-il, à Kiev, sur la hauteur, vous couvrîtes d'un tapis noir mon lit d'ébène;
- 95. vous me versâtes du vin bleu empoisonné,
- 96. et, d'un carquois vidé par la magie païenne, vous répandîtes dans mon sein une grosse perle
- 97. en me frottant. Déjà les planches n'ont plus de solives sur ma tour au faîte doré;
- 98. toute la nuit les corbeaux de Bies croassèrent;
- 99. à Plesensko était une vallée, au détour de Kysan : et je n'enverrais pas vers la mer Noire? »
- 100. Les Boïars lui dirent alors :
- 101. « prince! la douleur a saisi tes esprits.
- 102. Regarde: deux faucons se sont élancés du siège d'or de leur père pour s'emparer de la forteresse de Tmutorokan, ou pour boire le Don avec leurs casques. Mais les ailes des faucons ont été coupées par des sabres païens, et euxmêmes ont été chargés de chaînes de fer.
- 103. Il fit sombre le troisième jour, et deux soleils furent obscurcis; deux colonnes pourprées s'éclipsèrent,etavecelles deux lunes nouvelles, Oleg et Sviatoslav, se couvrirent de ténèbres.
- 104. Sur les rives de la Kaïala, les ténèbres ont étouffé le jour :
- 105. les Polovces se sont répandus comme une couvée de panthères;
- 106. ils ont tout jeté à la mer, et livré au Khan une riche proie. La gloire s'est convertie en honte,
- 107. la misère a succédé à l'abondance,
- 108. et Div a dévasté la terre.
- 109. Voici: les jolies filles des Goths entonnent leurs chants aux bords de la mer Noire: toutes resplendissantes d'or russien, elles célèbrent le règne de Bus, et calment la vengeance de Sarokan.
- 110. Et nous, amis, pour nous il n'y a plus de bonheur! »
- 111. Sviatoslav fit alors entendre ces belles paroles entrecoupées de larmes :
- 112. « mes enfants, Igor et Vsevolod ! vous avez commencé de bonne heure à menacer de votre glaive le pays des Polovces pour y chercher la gloire; mais vous avez été malheureux en combattant, malheureux en versant le sang infidèle.
- 113. Vous, dont les cœurs intrépides sont trempés d'acier, cuirassés de courage,
- 114. était-ce là ce que vous réserviez à mes cheveux blancs!
- 115. Je ne verrai donc plus régner ce prince si brave, si riche, si puissant, mon frère Iaroslav, sur les guerriers de Cernigov, les Mogutes, les Tatrans,les Selibires, les Topcaks, lesRevuges, les Olibères! Sans bouclier, la lance à la main, ils repoussaient à grand bruit les armées, en chantant la gloire de leurs ancêtres.
- 116. Mais vous avez dit: Nous seuls, nous voulons tout oser, égaler nous seuls la gloire des anciens temps, et réserver pour nous tous les nouveaux trophées!»
- 117. Et serait-ce un miracle, ô frères! si un vieillard se rajeunissait?
- 118. Tant que le faucon règne dans la forêt, il fond du haut des airs sur tous les oiseaux, et défend son nid de toute atteinte.
- 119. Mais il est triste que les princes me délaissent;
- 120. notre temps est voué au malheur.
- 121. Voyez, Urim gémit sous le glaive des Polovces, et Vladimir sous ses blessures;
- 122. l'angoisse et le désastre accablent le fils de Glieb
- 123. grand prince Vsevolod! ne voleras-tu pas comme la pensée au secours du trône paternel?
- 124. Car tu peux vaporiser le Volga sous tes rames, et vider le Don avec tes casques.
- 125. Si tu vivais, Caga ne vaudrait qu'une nogata, et Koscey un rézan.;
- 126. car tu peux foudroyer la plaine avec tes vivants zerezires, comme les fils vaillants de Glieb.
- 127. Et vous, braves Rurik et David ! vos casques dorés n'ont-ils pas nagé dans le sang?
- 128. Vos soldats intrépides n'ont-ils pas mugi, comme des taureaux percés par les glaives, sur la plage étrangère?
- 129. Montez, princes, sur l'étrier d'or, pour venger les maux de notre époque, pour venger la Russie et les blessures d'Igor, du brave fils de Sviatoslav!»
- 130. Et toi, Osmomysl Iaroslav de Galic! tu es fièrement assis sur ton trône bosselé d'or, tu défends par le fer les montagnes de Hongrie; tu arrêtes les pas du roi, tu fermes l'entrée du Danube; tu élèves des fardeaux jusqu'aux nuages, et jusqu'au Danube tu règnes en maître.
- 131. Tu sèmes l'épouvante dans toutes les contrées; tu ouvres les portes de Kiev, et, du haut du trône paternel, ton bras frappe au loin les Sultans.
- 132. Frappe, ô prince les païens Koncak et Koscey; frappe-les pour venger la Russie et les blessures d'Igor, du brave fils de Sviatoslav!
- 133. Et vous, intrépides Roman et Mislislav! vos nobles pensées poussent vos cœurs à l'action;
- 134. vos pensées planent vers les hauts faits comme le faucon s'élève dans les airs.
- 135. Cardes liens de fer serrent vos casques latins, et devant eux trembla toute la terre soumise à l'empire du Khan: les Lithuanes, les Iatviazes, les Deremèles et les Polovces, jetèrent leurs lances et courbèrent la tête sous les coups de vos sabres d'acier.»
- 136. Mais maintenant, prince Igor, la lumière du soleil est voilée, et, dans ces jours de désastre, les arbres ont perdu leur feuillage.
- 137. Sur la Rsa, sur la Sula, ils se sont partagé les châteaux; et les braves légions d'Igor, personne ne les réveillera!
- 138. Le Don t'appelle, ô prince, et exhorte les chefs à la victoire.
- 139. Ils sont mûrs pour le métier des armes,
- 140. les fils d'Oleg , Ingvar et Vsevolod, ainsi que vous trois Mistislavices! redoutables avec vos six ailes, vous qui, par l'arrêt immuable du sort, avez conquis un vaste domaine.
- 141. Qu'ils sont brillants, vos casques d'or, vos javelots liackites, vos boucliers!
- 142. Défendez l'accès du pays avec vos armes meurtrières; vengez la Russie et les blessures d'Igor, du brave fils de Sviatoslav!»
- 143. La Sula ne roule plus en flots d'argent vers le fort de Pereïaslav; la Dvina, troublée comme un marais, se perd chez les terribles Polocans,au milieu des cris des païens.
- 144. Isiaslav seul, le fils de Vasilko, fait gémir sous son glaive les casques lithuaniens, et rehausse la gloire de son aïeul Vsleslav; mais lui-même, sous son bouclier rouge, est jeté sur l'herbe sanglante par le fer des Lithuanes. Se soulevant de sa couche,
- 145. il s'écrie :
- 146. « prince! les oiseaux couvrent tes guerriers de leurs ailes, et les bêtes féroces lèchent leur sang! »
- 147. Son frère Briaciaslav n'était pas là, ni son autre frère Vsevolod; seul il exhala son âme pure du fond de sa forte poitrine, à travers son collierd'or.
- 148. Les voix se turent, la joie disparut, et les trompettes mugirent à Grodno.»
- 149. Iaroslav, et vous tous petit-fils de Vseslav, abaissez vos bannières, cachez vos glaives émoussés,
- 150. car vous êtes déchus de la gloire de vos pères!
- 151. Par vos querelles, vous avez excité les païens contre la Russie et la vie de Vseslav;
- 152. et quelles n'ont pas été les violences des Polovces! Sept siècles après Troïan,
- 153. Vseslav jeta le sort sur une vierge qui lui était chère.
- 154. Aussitôt il presse son cheval de ses éperons, s'élance à Kiev, et frappe de son javelot le trône d'or de l'antique Kiev.
- 155. De là, semblable à l'animal sauvage, il fuit pendant la nuit les murs de Bielgorod, enveloppé dans un sombre brouillard.
- 156. Dès le matin il dresse les béliers, brise les portes de Novgorod et flétrit la gloire de Iaroslav, et de là il plonge comme un loup dans la Nemiga de Dudutok.
- 157. Sur les bords de la Nemiga on amoncela les têtes comme des gerbes, on fit jouer les fléaux d'acier; sur l'aire s'éteignait la vie, et l'âme s'envolait loin du corps.
- 158. Les rives ensanglantées étaient semées de carnage, semées d'ossements des fils de la Russie.
- 159. Le prince Vseslav exerça son jugement sur les peuples, il distribua des châteaux aux chefs; lui-même, errant comme un loup dans la nuit, arriva de Kiev à Tmutorokan avant le chant du coq matinal, devançant le grand Khors dans sa marche.
- 160. Pendant que les cloches de Sainte-Sophie sonnaient pour lui matines à Polock, il entendait les cloches à Kiev.
- 161. Mais quoiqu'un esprit prophétique habitât dans son corps humain, rarement il fut exempt de peines.
- 162. C'est de lui que Boïan, le chantre inspiré, a parlé jadis, en disant :
- 163. « Ni l'homme rusé, ni l'homme agile, quand il serait plus prompt qu'un oiseau, ne peut échapper au jugement de Dieu. »
- 164. Russie! gémis en songeant au passé, en songeant à tes anciens princes!
- 165. Il n'était pas facile d'enchaîner le vieux Vladimir sur les hauteurs de Kiev:
- 166. l'un de ses étendards est échu à Rurik, l'autre à David; et leurs taureaux labourent des champs lointains,
- 167. – – –
- 168. et le Danube redit leurs faits d'armes »La voix de Iaroslavna retentit comme celle du coucou caché à l'aube du jour :
- 169. « Je volerai, dit-elle, comme le coucou sur les rives du Danube;
- 170. je tremperai ma manche de castor dans les flots de la Kaïala
- 171. pour étancher les plaies sanglantes sur le corps brûlant de mon prince! » —
- 172. Iaroslavna pleure dès l'aurore sur la terrasse du château de Putivl :
- 173. « vent! s'écrie-t-elle, vent bienfaisant! pourquoi souffler avec tant de force?
- 174. pourquoi lancer de tes ailes invincibles les traits du Khan sur les guerriers de mon époux?
- 175. N'as-tu pas tes montagnes aériennes d'où ton souffle atteint les vaisseaux et les berce sur les vagues azurées?
- 176. Pourquoi, seigneur, abattre sur l'herbe ce qui faisait tout mon bonheur! » —
- 177. Iaroslavna pleure dès l'aurore sur la terrasse du château de Putivl :
- 178. « Glorieux Dnieper! s'écrie-t-elle, tu t'es rano. frayé une route à travers les rochers des Polovces;
- 179. tu as porté sur tes flots les proues recourbées de Sviatoslav s'avançant contre les hordes de Kobiak.
- 180. Seigneur, porte aussi vers moi mon bienaimé, afin que mes larmes matinales cessent enfin de couler dans la mer!» —
- 181. Iaroslavna pleure dès l'aurore sur la terrasse du château de Putivl :
- 182. « Soleil ! s'écrie-t-elle, soleil trois fois brillant!
- 183. tu réchauffes et tu charmes tous les yeux; mais pourquoi, seigneur , darder tes flammes ardentes sur les guerriers de mon époux? Couchés dans la plaine aride, la chaleur a desséché leurs arcs, et l'angoisse a fermé leurs carquois! »
- 184. A minuit, la mer bouillonne; des fantômes s'élèvent dans le brouillard : Dieu montre au prince Igor la voie qui mène de la terre des Polovces vers la Russie, vers le trône de ses pères.
- 185. L'éclat du soir s'évanouit : Igor dort, Igor veille, Igor mesure en idée les plaines qui séparent le Don de l'humble Donece.
- 186. « A minuit, mon cheval! » Ovlur siffle à travers le fleuve pour donner au prince le signal: Igor n'était point là.
- 187. La terre résonne et tremble, l'herbe frémit, les tentes des Polovces se dressent :
- 188. le prince Igor s'élance comme une hermine dans les roseaux, comme un plongeur dans les vagues;
- 189. il saute sur son coursier rapide, il le quitte comme un loup bondissant,
- 190. et fuit vers les bords du Donece, et vole comme le faucon dans les ténèbres, quand il tue les oies et les cygnes pour s'en repaître le matin, le jour et le soir.
- 191. Pendant qu'Igor vole ainsi comme le faucon, Ovlur court comme le loup trempé de froide rosée. Ils forcèrent leurs coursiers rapides.
- 192. « Prince Igor, s'écria le Donece,
- 193. à toi est la gloire, à Koncak l'amertume, à la Russie la joie. »
- 194. Igor répondit ;
- 195. « Donece ! à toi aussi la gloire de porter un prince sur tes flots, de lui offrir un lit de gazon sur tes rives argentées,
- 196. de le couvrir d'un nuage à l'ombre des verts rameaux, de le sauver comme le plongeon dans les vagues, comme le vanneau dans les torrents, comme le canard au haut des airs. »
- 197. N'est-ce pas ainsi que parla également la rivière Stugna au cours misérable, elle qui engloutit tant de torrents lointains et qui brise les barques sur les broussailles? Le Dnieper ferma ses sombres rives devant le jeune prince Bostislav;
- 198. la mère de Rostislav pleura son jeune fils :
- 199. de douleur la fleur se flétrit, les arbres inclinèrent leurs têtes, et les pies cessèrent leurs accords.
- 200. Gsak et Koncak suivent les traces d'Igor.
- 201. Cependant les corbeaux ne croassent point, les geais se taisent, les pies ne crient plus;
- 202. les pics seuls, grimpant lentement sur les arbres, indiquent par leurs battements le chemin de la rivière, tandis que, par leurs chants joyeux, les rossignols saluent l'aurore.
- 203. Gsak dit à Koncak :
- 204. « Si le faucon parvient au nid, nous percerons le jeune avec nos flèches dorées. —
- 205. Koncak répondit :
- 206. « Si le faucon parvient au nid, nous enchaînerons le jeune par une jolie fille. —
- 207. « Alors, dit Gsak,
- 208. si nous l'enchaînons par une jolie fille, nous n'aurons ni le jeune faucon ni la jolie fille, et la couvée se répandra sur la terre des Polovces. »
- 209. Boïan, qui chanta les exploits de Sviatoslav dans l'ancien temps de laroslav, a dit à Olga, l'épouse de Kogan :
- 210. « Malheur à la tête sans épaules, malheur au corps sans tête, malheur à la Russie sans Igor! »
- 211. Le soleil brille dans le ciel, le prince Igor dans la Russie.
- 212. Les jeunes filles chantent sur les bords du Danube, et leurs voix sont portées sur les flots jusqu'à Kiev.
- 213. Igor se rend par Boricevo vers la sainte Vierge de Pirogosc.
- 214. Les campagnes se réjouissent, les châteaux se réjouissent,
- 215. et célèbrent les anciens et les nouveaux princes.
- 216. Chantons la gloire d'Igor, fils de Sviatoslav, de l'intrépide Tur Vsevolod, et de Vladimir, fils d'Igor!
- 217. Salut aux princes et aux guerriers, qui ont combattu pour le christianisme contre les hordes des infidèles !
- 218. Gloire aux princes et à leurs armées! Amen
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Орехов Б. В. Параллельный корпус переводов «Слова о полку Игореве»: итоги и перспективы // Национальный корпус русского языка: 2006—2008. Новые результаты и перспективы. — СПб.: Нестор-История, 2009. — С. 462—473.